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L'art de gouverner les déchets hautement radioactifs. Analyse comparée de la Belgique, la France et le Canada
Author | Parotte C. |
2-03-4-10-13.pdf | |
Date | December 2016 |
Classification | 2.03.4.10/13 (BELGIUM - WASTE) |
Remarks | The Art of Government of High-Level Radioactive Waste. Comparative Analysis of Belgium, France and Canada |
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Préface Embarquement immédiat du chercheur1 Sur les matières controversées issues du domaine nucléaire, une question est fréquemment posée au chercheur après la très classique « êtes-vous pour ou contre le nucléaire ? » ; il s’agit de : « qui finance votre étude ? ». En fonction de la réponse, les interlocuteurs sont peu ou prou désireux d’interagir et de partager leur expérience car ils craignent le plus souvent une « instrumentalisation » de leur propos s’ils jugent le chercheur « au service de » tel ou tel type d’intérêts. À l’identique, le chercheur en sciences humaines et sociales (SHS) est souvent confronté à « une demande sociale » venant de toutes parts où « plusieurs acteurs peuvent chercher un appui pour leurs ‘vérités’, ce qui engendre le risque d’interprétations incontrôlables » (Albera 2001: 8). La question de l’instrumentalisation de la recherche et des données récoltées est donc également une question qui occupe fréquemment le chercheur en SHS. Plus encore s’il a des notions d’épistémologie des sciences ou de science and technology studies (STS), le chercheur « embarqué » (Thoreau 2013) est rapidement convaincu de son incapacité à mener une recherche totalement « indépendante » et « non entachée de subjectivité scientifique », et ce, qu’il soit ou non financé par certains types d’institutions (qu’il s’agisse d’une université, d’une agence de recherche ou d’une institution attachée de près ou de loin à l’industrie nucléaire)2. Plusieurs chercheurs comme Barthe (2006), Bonano et al. (2011), Lits (2013), Solomon et al. (2010), Topçu (2006) ont d’ailleurs mis en évidence les différents rôles possibles des chercheurs SHS dans ce domaine à travers le temps. Les chercheurs sont présentés tantôt comme des facilitateurs, des soutiens à l’aide à la décision travaillant aux côtés des ingénieurs nucléaires, tantôt comme des contre-experts ou des critiques, tous présentant des types d’engagements différents. Tandis que d’autres chercheurs comme Thoreau (2013), Van Oudheusden and Laurent (2013), Benvegnu and Laurent (2013) ou encore Skolits et al. (2009) ont mis en évidence les multiples « casquettes » que pouvait adopter un chercheur tout en soulignant l’importance de prendre en considération les éléments liés au contexte de l’activité scientifique. De son côté, Wendling (2012) précisait qu’idéalement, le chercheur SHS désirait se placer dans la catégorie du sociologue critique, comme « ‘purveyors of wisdom sitting above the fray’, meta analysing the way risks are dealt with (when analysing frame of reference and the risk assessment process or monitoring effects expost) » (Wendling 2012: 484). D’entrée de jeu, établir mon positionnement et rendre transparentes au lecteur les conditions de « mon embarquement » (Thoreau 2013) dans la gestion des déchets hautement radioactifs semble être une étape nécessaire, primordiale (et attendue ?). C’est en effet une première vigilance méthodologique (Olivier de Sardan 1995) que de proposer un court bilan réflexif de l’évolution et des différentes modalités de mes interventions opérées au cours de ces quatre dernières années dans le domaine. Premièrement, la posture épistémologique adoptée dans cette thèse est constructiviste 3 . Comme l’explique Hacking (2001: 14), cette posture se révèle « magnifiquement libératrice » en ce qu’elle assume que les évènements, les choses, les pratiques, les gens, les concepts de l’objet étudié (ici la gestion des déchets hautement radioactifs) interagissent et sont le fruit d’évènements historiques, de forces sociales et d’idéologies particuliers. Cette posture traduit la volonté de prendre la contextualisation au sérieux, de considérer que la gestion des déchets hautement radioactifs n’est pas déterminée par la nature des choses mais résulte d’une construction sociale intéressante à questionner. Deuxièmement, cette thèse présente deux types de degrés d’engagement constructiviste : un engagement historique et de dévoilement. D’une part, ces types d’engagement impliquent de considérer la gestion des déchets hautement radioactifs comme le résultat contingent d’évènements historiques. C’est donc une histoire qu’il s’agit de raconter (voir le chapitre introductif de cette thèse). D’autre part, il ne s’agit pas de réfuter les idées, de prendre position sur le caractère souhaitable ou non de celles-ci mais plutôt d’exhiber les fonctions qu’elles remplissent, les intérêts qu’elles servent pour « l[es] dépouiller de [leurs] faux attraits ou de toute autorité » (Hacking 2001: 38). Enfin, à l’identique de Callon (1999a), cette posture est combinée à celle qui considère qu’il faut pouvoir faire le deuil de la prise de distance et de l’universalité en ce sens qu’elles ne décrivent pas les pratiques réelles des sociologues. Le chercheur dans sa tour d’ivoire n’est plus (Berling and Bueger 2013; Bourdieu 2002; Olivier de Sardan 1995), à supposer qu’il ait jamais existé. Au contraire, conscient de ses ambiguïtés, le chercheur « continue à utiliser la tension existante entre la dimension de distance et celle de proximité, avec les inconvénients et les inconforts que cette tension génère, comme un vecteur de connaissances. » (Albera 2001: 9). En d’autres termes, le chercheur est engagé et embarqué de diverses manières qui affectent son objet d’étude. « Affecter » est à comprendre ici dans un double sens, celui d’influencer (et d’être influencé par) les acteurs rencontrés mais aussi de générer des affects (Favret-Saada and Isnart 2008; Favret-Saada 2009), c’est-à-dire des émotions et des désirs qui surgissent avec le développement et l’utilisation de la Science et la Technologie (S&T) quand ils heurtent les expériences subjectives de la citoyenneté, la valorisation, la dépossession ou l’indépendance. Les positionnements du chercheur évoluent constamment en fonction de ou en réaction aux demandes des acteurs impliqués (Solomon et al. 2010). Par conséquent, les connaissances scientifiques produites ne sont pas un « miroir transcendant la réalité » mais s’inscrivent dans une réalité qu’elles contribuent à façonner par ailleurs (Jasanoff 2004: 3). Face à ces constats, la question qui m’a accompagnée durant cette thèse n’est plus « comment éviter l’embarquement ? », mais « comment gérer au mieux les influences politiques sur la recherche considérant qu’elles font partie intégrante du processus (Pichault et al. 2008: 14) ? »